Personnellement, je dirais que la solitude permet la réalisation d'un monde adapté à soi.
Bobin parle, de manière très intéressante, de sa matérialité. Avant même d’être un état mental ou affectif, la solitude, dit-il, est une matière. Par exemple, c’est exactement la matière que j’ai sous les yeux en ce moment-même. Il est 2 heures du matin, c’est l’obscurité la plus totale. Le ciel est tout noir et il y a du silence – c’est très matériel aussi le silence, une petite maison dans laquelle je vis, des cigarettes que je ne peux pas m’empêcher de fumer, des livres que je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir, des carnets que je ne peux me passer de griffonner et surtout une curiosité, entendez par là un besoin irrépressible de savoirs et de connaissances que je ne peux m'empêcher d'assouvir. Au fond, de manière étrange, c’est très vite peuplé la solitude. La solitude c’est d’abord ça: un état matériel.
La solitude est une grâce que beaucoup vivent autrement. Par ignorance ou par confusion. Car il existe deux types de solitude. Une mauvaise solitude. Une solitude noire, pesante. Une solitude d’abandon. Cette solitude-là n’est pas celle que je ressens. Ce n’est pas celle que j’habite, et ce n’est pas dans celle-là que j’aime aller, même s’il m’est arrivée comme tout un chacun de la connaître. C’est l’autre solitude que j’aime. C’est l’autre solitude que je fréquente, et c’est de cette autre dont je parle presque en amoureuse.
Je crois que pour vivre, parce qu’on peut passer cette vie sans vivre, et c’est un état sans doute pire que la mort, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, on peut être seul. La solitude n’est plus jamais mauvaise. Même si on ne nous porte plus, même si on ne nous aime plus, même si on ne nous regarde plus, ce qui a été donné, vraiment donné, une fois, l’a été pour toujours. A ce moment-là, rajoute Bobin, on peut aller vers la solitude comme une hirondelle peut aller vers le plein ciel.
Cette solitude-là ne connaît pas l’isolement. Je ne crois pas être une barbare, mais il est vrai que j’ai une certaine sauvagerie : je peux, et j’aime, rester des heures et des jours entiers en ne voyant personne. Or, je ressens la plupart de ces heures et de ces jours-là comme des heures et des jours de plénitude où je m’éprouve comme reliée à, exactement, tout !
Vivre dans la solitude est un luxe immense. Les autres se méprennent sur sa signification. Ma solitude n’est pas une peur, ni un refuge. Elle n'est pas égoïste non plus. Je serais malhonnête si je parlais de solitude en faisant l’impasse sur ce besoin animal de se retirer, d’éviter la rencontre. De préserver quelque chose. Si elle n’était pas contrebalancée par autre chose, on irait sans doute vers une ligne de fuite autiste. Je ne suis pas autiste. Simplement, je suis reliée autrement. Je suis reliée autrement que par les liens consacrés, les liens de plein jour, les liens officiels.
Pour beaucoup, l’état de solitude est lié à cette chose effrayante qu’est l’ennui.
Pour moi, l'état d'ennui est lié à cette chose effrayante qu'est l'autrui. Celui que je n'ai pas choisi. La solitude est ma plus grande liberté.
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