Les expositions d'art contemporain restent incompréhensibles pour les non initiés. Mais cet élitisme bourgeois masque en réalité la vacuité d'un art creux sous emballage marketing. L’art contemporain peut susciter le scepticisme d’un public non avertit. Toute forme d’objet peut devenir artistique si le monde de l’art nous le présente comme tel. La créativité n’exprime plus rien et l’art contemporain semble se contenter d’un nombrilisme superficiel. Deux universitaires, Alain Troyas et Valérie Arrault, analysent ce phénomène dans le livre Du narcissisme de l’art contemporain. « Et souvent, n’importe quoi se fait avec pas grand-chose et même presque rien et il arrive que ce soit rien du tout, et même avec moins que rien », ironisent Alain Troyas et Valérie Arrault. Le monde de l’art se veut tolérant et refuse toute forme de critères de jugement ni même la moindre critique. Le modèle fordiste, paternaliste et autoritaire, est remplacé. Après la contestation des années 1968, Eve Chiapello et Luc Boltanski observent l’émergence d’un Nouvel esprit du capitalisme. Une société ouverte, flexible, mobile et permissive est valorisée. L’art se conforme à cette évolution du capitalisme. N’importe quel objet ennuyeux ou insipide peut être présenté comme artistique à travers la rhétorique du marketing culturel à coups de textes, de théories et de publicité.
Vide et banalité
L’art minimaliste et conceptuel s’est imposé. Cette culture du vide délaisse les vieux idéaux pour valoriser les caprices et l’égotisme. Un art détaché du monde congédie les vieilles avant-gardes artistiques, notamment les surréalistes. « Du point de vue culturel, il était inéluctable que dans ce climat général d’inquiétude et de dépression, de déboires et de peur, on se détournât des engagements collectifs liés aux utopies rationalistes et de leurs missionnaires en voie de faillite accélérée dans le monde de l’art », décrivent Alain Troyas et Valérie Arrault. Les utopies et les conflits sont alors congédiés par les artistes.
L’art contemporain valorise la banalité. Les actes du quotidien ne s’inscrivent pas dans un sens collectif ou historique. Ils sont ramenés à leur superficialité prosaïque. L’art valorise le narcissisme qui « ne se caractérise pas par des images grandioses ou agressives comme défense contre l’anxiété ou la culpabilité de n’être point conforme au modèle imposé par le pouvoir social, mais par l’introjection du neutre et de l’anodin », déplorent Alain Troyas et Valérie Arrault.
Fluxus et le pop art se développent après la seconde guerre mondiale. Cette créativité ludique se distingue du mouvement Dada qui émerge au début du siècle. Pour l’art contemporain les grandes utopies sont dépassées. L’ordinaire, le futile et l’insignifiant sont au contraire valorisés. « Signes vides d’idéaux utopiques, ils ne renvoient qu’à la marchandise et au statut social », analysent Alain Troyas et Valérie Arrault.
Les objets du pop art ne disent pas plus que les objets qu’ils représentent. Planche de palissade, boîte de conserve, bouteilles de Coca-Cola, drapeau états-unien, publicités deviennent des œuvres d’art. Les déchets de la société de consommation sont les sources d’inspiration. « Pas de politique, pas d’idéal, pas de jugement de valeur sur quoi que ce soit », observent Alain Troyas et Valérie Arrault. L’art se contente d’une auto-satisfaction sans recherche d’originalité.
Le pop art émerge dans le contexte de la contestation des années 1968 mais aussi des luttes afro-américaines. Mais cette dimension politique reste évacuée. « Le pop art, c’est le rêve américain aux hormones, aseptisé et castré, refoulant la face sombre et fragmentée des conflits de classe qui menancent l’ordre marchand », soulignent Alain Troyas et Valérie Arrault.
Absurdité et vulgarité
Dada et le surréalisme se distinguent de l’art contemporain. Leur utilisation de l’absurde vise à dynamiter les valeurs de l’ordre social. Le non-sens et la fantaisie alimente la créativité artistique. Ces mouvements « étaient animés par cette volonté de libérer les tabous sur l’amour et la politique, tels que l’administraient les dominants », analysent Alain Troyas et Valérie Arrault. L’absurde permet de détruire l’idéologie et les intérêts des capitalistes. L’absurde démasque les hypocrisies et les censures qui répriment les désirs. Au contraire, l’absurdité de l’art contemporain se soumet à la logique du capitalisme libéral.
Les artistes valorisent désormais l’absurde pour son insignifiance et son absence d’enjeu. Ils n’attaquent plus l’ordre capitaliste mais se contentent de simples jeux de mots, d’improbabilités sémantiques et d’histoires sans finalité.
L’art contemporain valorise l’exhibitionnisme et la nudité. Mais cette spectacularisation de l’intime permet de masquer la décadence de la politique. Le narcissisme et le voyeurisme priment sur la pudeur. Les émissions de télé-réalité comme Loft story, Confessions intimes ou L’île de la tentation montrent la vie amoureuse et sexuelle d’inconnus. L’art contemporain valorise également le déchet, le scatologique et le morbide.
Critique de l’art contemporain
Le livre d’Alain Troyas et Valérie Arrault permet de décortiquer l’imposture de l’art contemporain. Le culte de la subjectivité permet de masquer le vide de cette culture avant tout destinée à la bourgeoisie. La découverte de galeries d’art laisse très souvent un goût amer. C’est l’entre soi culturel qui s’admire lui-même. C’est un petit monde avec ses propres codes indéchiffrables pour le commun des mortels, un élitisme auto-centrée et superficiel. Mais Alain Troyas et Valérie Arrault tente de se démarquer de la critique réactionnaire de l’art contemporain. Pour cela, la critique s’attache à restituer le contexte historique du capitalisme libéral. Mais les universitaires s’attachent davantage à des élucubrations freudiennes plutôt qu’à développer une analyse de classe. Il semble important de préciser que l’art contemporain demeure un important marché et que ses produits restent avant tout destinés à la bourgeoisie cultivée.C’est sans doute ce qui permet d’expliquer la médiocrité des artistes. Cette classe sociale vit dans un confort bourgeois et ne subit pas de problèmes sociaux. Les artistes et leur public peuvent alors difficilement se révolter contre un ordre social qui les valorise. La transgression ne peut être que superficielle et uniquement esthétique. Au contraire, la bohème artistique et notamment le mouvement Dada subissent bien souvent la misère et vivent souvent dans les quartiers ouvriers. Leur transgression vise logiquement à attaquer l’ordre capitaliste et dépasse la simple démarche esthétique. Alain Troyas et Valérie Arrault peuvent glisser dans la fange réactionnaire à travers leur référence constante à la culture « libérale libertaire ». Le terme est inventé par le stalinien Michel Clouscard et repris par des idéologues réactionnaires comme Jean-Claude Michéa. L’expression peut effectivement désigner la culture de cette bourgeoisie et petite bourgeoisie intellectuelle qui colonise les centres urbains. Mais le « libéralisme libertaire », tout comme la dénonciation du « narcissisme » peut également permettre de dénoncer les libertés individuelles pour mieux défendre les valeurs traditionnelles : travail, famille, patrie.Alain Troyas et Valérie Arrault tiennent à se démarquer de tout retour vers un passé idéalisé avec le modèle du chevalet et de l’art traditionnel. L’apologie des contraintes, de l’ordre, des limites contre la révolte libertaire des années 1968 peut alimenter l’ambiguïté. Il semble important de valoriser la créativité artistique et de lui donner un sens politique. Le mouvement Dada a permis de dynamiter les carcans de l’ordre moral pour s’inscrire dans une utopie révolutionnaire. Cette démarche ludique et politique doit se réactiver. Source : Alain Troyas et Valérie Arrault, Du narcissisme de l’art contemporain, L’échappée, 2017
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